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L’arrêt Czabaj du 13 juillet 2016 est de ces décisions qui façonnent en profondeur le contentieux administratif.
Jusqu’alors, la lecture combinée des articles R.421-1 et R.421-5 du Code de justice administrative amenait le Juge administratif à accueillir sans aucune condition de délai tous les recours contre une décision administrative individuelle ne mentionnant pas les voies et délais de recours.
La situation des requérants s’en trouvait très confortable, puisqu’ils pouvaient contester ces décisions sans aucune condition de délais (dans le respect bien entendu des règles de prescription).
Le Conseil d’Etat considère désormais que, même en l’absence de telles mentions, les décisions concernées ne peuvent être contestées que dans un « délai raisonnable » qu’il fixe, sauf « circonstances particulières », à un an à compter de la notification de la décision ou de sa connaissance par l’intéressé.
La sécurité juridique s’en trouve renforcée, et les pratiques contentieuses, profondément bouleversées.
Plusieurs précisions ont par la suite été apportées quant au champ d’application de cette règle nouvelle :
La question des circonstances particulières justifiant que le délai de recours contentieux soit supérieur à 1 an est pour sa part très peu traitée par la jurisprudence.
L’arrêt commenté ici en donne une intéressante illustration.
Le 9 avril 1976, un ressortissant français, Monsieur A, a demandé l’autorisation de perdre la qualité de français, tel qu’autorisé par les dispositions applicables à cette date de l’article 91 du Code de la nationalité française, pour lui-même ainsi que pour ses enfants mineurs.
Cette demande avait été accepté par décret daté du 5 mai 1977.
L’un de ses enfants n’a été informé de l’existence de ce décret, qui ne lui avait pas été notifié, que par une assignation délivrée en 2017 par le Procureur de la République qui contestait qu’un certificat de nationalité française ait pu lui être délivré.
La Cour de Cassation a finalement tranché le 28 juin 2023 en considérant que ce certificat de nationalité n’aurait pas du lui être délivré, puisqu’il ne disposait plus de la nationalité française depuis ce décret de 1977.
Monsieur B a donc formé un recours en annulation contre ce décret le 17 août 2023 soit 46 ans après son édiction.
Sur ce contentieux très spécifique, le Conseil d’Etat avait déjà jugé en 2019 qu’un tel décret, portant libération d’un particulier de ses liens d’allégeance avec la France, pouvait être contesté dans un délai de trois ans « à compter de la date de publication du décret ou si elle est plus tardive de la date de la majorité de l’intéressé »[6].
Ce qui constituait déjà une dérogation au délai de principe d’un an fixé par l’arrêt Czabaj.
Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat, est donc allé plus loin et a accepté, au vu des circonstances particulières de l’espèce, de porter le délai de contestation à 46 ans à compter de la publication du décret.
Il faut dire :
In fine, le Conseil d’Etat a maintenu le délai de recours contentieux de 3 ans, mais l’a fait courir :
« A compter de l’issue des procédures devant les juridictions judiciaires concernant sa nationalité »
Ce qui aboutit à porter le délai raisonnable de contestation à 46 ans.
Cette solution, clairement protectrice des intérêts du requérant, interroge tout de même puisque celui-ci avait connaissance du fameux décret a minima depuis 2017, date de l’assignation du Procureur de la République.
Il faut y voir une volonté d’appréhender in concreto cette notion de délai raisonnable.
Si l’illustration est intéressante, l’éminente spécificité du cas d’espèce ne permet pas de dégager de solution de principe et maintient les praticiens, dans l’attente d’autres précisions jurisprudentielles, dans un certain degré d’incertitude.
[1] CE, 16 avril 2019, n°422004
[2] CE, 9 mars 2018, n°405355
[3] CE, 17 juin 2019, n°413097
[4] CAA Lyon, 7 octobre 2021, n°21LY00022
[5] C.cass, Plénière, 8 mars 2024, n°21-12.560
[6] CE, 29 novembre 2019, n°426372